amiral doubitchou ( 2019 )

éva prouteau

par la langue

Parfois, les artistes s’infiltrent là où personne ne va, et donnent à voir la zone hors-champ, l’enfoui, le mésestimé. En 2017, Alexandre Périgot exhumait du fond des réserves des musées des tableaux qui n’en sortent jamais, condamnés aux oubliettes car sans papiers d’identité. En 2019, l’artiste aborde à nouveau la question de l’anonymat, différemment, pour un projet porté par MJ 1 à Marseille : cette fois-ci, plutôt qu’une collection d’images, il propose au public une sélection de mots migrants, richesse méconnue de la langue française, cette langue qui constitue notre société, cerne son identité, et assure la cohérence de notre groupe social. RESSAC SÉMANTIQUE Les linguistes relient volontiers la vitalité d’une langue à sa force d’aimantation : les mots qui circulent sans titre de voyage d’une langue à une autre se déposent ici ou là au fil des rencontres des populations, des besoins néologiques, des invasions barbares ou des modes ponctuelles. À ce titre, la langue française demeure exemplaire : creuset de vocables venus d’ailleurs, elle a connu tout au long de son histoire de grandes vagues d’emprunts, immense ressac sémantique, si bien qu’aujourd’hui, environ 14% des mots français sont d’origine étrangère, soit quelque 8500 mots d’un dictionnaire usuel comprenant 60 000 mots. LUSTRE EXOGÈNE Certains se sont fondus dans le décor, francisés à la façon dont on a longtemps francisé les prénoms d’origine étrangère dans l’optique d’accélérer l’assimilation, de gommer l’étrangeté de l’étranger. D’autres rutilent de leur lustre exogène, tels le viking geyser, l’africaans apartheid ou les japonais karaoké ou tsunami. Parfois, les circuits pratiqués sont courts et pragmatiques, parfois au contraire les pérégrinations semblent extraordinairement complexes, ponctuées d’étonnants chemins de traverse, tels ceux qu’empruntèrent la tomate ou le chocolat extirpés du nahuatl, la langue amérindienne des Aztèques, puis rapportés par les Espagnols. À l’heure de la mondialisation et des flux numériques, les frontières linguistiques se lèvent et les échanges s’intensifient, libérant de nouveaux potentiels poétiques. Et si la propagation lisse des anglicismes revient souvent plisser le front soucieux des linguistes, elle ne doit pas occulter d’autres mouvements plus bigarrés, qui s’immiscent comme par effraction dans le paysage lexical. AUX DÉLICES DE L’AMIRAUTÉ Quelles images suscitent un mot, deux mots ensemble, ou la musique d’un mot accolé à un autre ? En intitulant son projet Amiral Doubitchou, Alexandre Périgot choisit d’emblée la truculence poétique et ses accords improbables, dans l’union chantante d’origines arabes et bulgares qui hybride la rigueur militaire, scandée en trois syllabes claires, et la douceur pâtissière exotique, chuintante de sucre glace, en trois syllabes elle aussi. Sur la digue du large au cœur du port de Marseille, c’est donc un personnage duel qui s’avance devant nos yeux : recouvert de fables, il porte avec panache le plus haut rang existant à ce jour au sein de la Marine nationale française, sous les atours comiques d’un patronyme roulé sous les aisselles. ANTHROPOPHAGISME Amiral Doubitchou, ce personnage de mot, peut incidemment rappeler d’autres chimères : les créatures que Gaston Chaissac faisait naître dans ses lettres calligrammes, ou les propos du poète brésilien Oswald de Andrade, père du mouvement anthropophage qui prônait activement non pas le rejet des cultures étrangères, mais au contraire leur appropriation, leur assimilation, leur imitation. Dans l’esprit, Alexandre Périgot est assez proche de l’artiste brésilien : dans son Manifeste anthropophage écrit en 1928, Oswald de Andrade conseille la dégustation symbolique du colonisateur, dans un processus de dévoration esthétique et politique qui consiste non pas à singer la modernité européenne mais à la manger, à l'assimiler pour en forger une déclinaison singulière. De même, Alexandre Périgot scrute la langue française pour en révéler l’identité composite, façonnée au quotidien par des millions de bouches qui s’accaparent ses spécificités métisses, une alternative vivante au repli identitaire, au nivellement culturel et à la fascination pour une culture dominatrice. VERTIGE DE LA LISTE Amiral Doubitchou : ce titre slogan habille une installation monumentale qui a valeur de manifeste. Mais plutôt que la revendication polémique, l’artiste adopte la logique buissonnière et le vagabondage linguistique. Le corpus de mots qu’Alexandre Périgot a choisi de spatialiser constitue ainsi une liste imprévisible, autant d’indices pour un scénario multiculturel et absolument libre, que l’imaginaire de chacun peut écrire à sa guise. Ou chanter, ou crier même : digue lilas zéro yoga soja joker bravo hussard azur ski gong zombie échec divan ozone hamac sorbet grisou rodéo cigare safari tabou ! Dans la contextualisation monumentale que propose l’installation marseillaise, chaque mot arbore une puissance accrue, comme une interjection ou un exutoire vocal qui traduirait l’excitation du voyage sémantique. L’ensemble révèle enfin l’efficience d’une forme littéraire que Georges Perec ou Umberto Eco, dans Vertige de la liste, ont déjà longuement éprouvé : l’étonnante plasticité esthétique et discursive d’une expression énumérative envisagée à tort comme simple. SCULPTURE SOCIALE Cette nomenclature poétique s’étale sur un support qui est lui-même considéré comme le vecteur emblématique de la mondialisation : le conteneur maritime, qu’on appelle aussi "container" (terme anglais), créé en 1956 par l’Américain Malcolm Mac Lean. Avec son innovation, Mac Lean va peu à peu bouleverser toute la chaîne logistique portuaire et depuis le début des années 1980, le standard de Mac Lean est utilisé à l'échelle mondiale. Sur le pont des navires, il a fait installer des grues qui permettent de mécaniser la manutention des boîtes : de port en port, ces dernières interprètent désormais une partition quadrillée caractéristique, blocs métalliques aux surfaces ondulées qui posent leur grille sur le paysage dans un jeu de Tetris infiniment recommencé. En une double ligne de containers visible de la Joliette, Alexandre Périgot transforme ces boîtes en support d’écriture, bouclant la boucle du voyage des mots et des choses. Une façon à la fois douce et particulièrement gigantesque (300 mètres de long pour 38 containers) d’immiscer l’art dans l’espace public : pour les gens qui pratiquent le port au quotidien, les passagers des bateaux ou le personnel portuaire, pour les flâneurs qui arpentent ce même territoire en curieux, l’artiste offre une “sculpture sociale”, selon la formule de Joseph Beuys, descendue de son piédestal pour provoquer une situation éphémère qui échappe aux catégories établies. On voit de loin cet Amiral Doubitchou, mais comment regarde-t-on ce long travelling lexical ? En creux, l’œuvre nous suggère que l’on peut encore fabriquer de l’hétérogène au milieu de notre société fonctionnelle, et offrir au cœur du quotidien une expérience de l’inattendu, à l’engagement politique délicat. CIRCULEZ S’il aborde clairement l’épineuse question de l’identité, l’art d’Alexandre Périgot n'a rien de démonstratif, d'ostentatoire, de figé, d'univoque. Les formes qu’il produit parlent pour lui, qui nous invitent à la promenade : à terme, ces containers vont revenir à leur usage premier et sillonner à nouveau les mers et les routes du monde. Mise en œuvre d'un processus de circulation d'idée, Amiral Doubitchou poursuivra, sous cette forme fragmentaire et essaimée, son voyage erratique, aux trajectoires éclatées. Éva Prouteau

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mon nom est personne ( 1998 )

pierre musso

la marque, signature d’une société qui se délite L’imaginaire est toujours ambivalent, telle est sa logique. Convoquer les anonymes c’est en creux les associer aux stars et aux célébrités. On pourrait même souligner l’oxymore qu’est le « soldat inconnu », célèbre et anonyme à la fois. Dans le champ économique et de la consommation, c’est la marque qui répond à la standardisation industrielle à « l’ère de la reproduction mécanisée ». La signature de l’œuvre est peut-être aussi une réponse à sa perte de l’aura pour restaurer son caractère unique ou pour critiquer la société de consommation, selon Ben qui signe n’importe quel objet, « étant donné que, pour le public, l’art est synonyme de la signature de l’artiste, plus elle est visible, plus c’est cette œuvre que le public voudra ». La marque, c’est la signature contemporaine des industries et même des politiques : ainsi de « Trump » qui est une marque importée dans le champ politique. Quelques mots sur la généalogie de la marque et de la signature en Occident. Elle fut dans l’Antiquité celle de l’objet, puis elle a été transférée au sujet artisan, ensuite à l’entreprise industrielle, et aujourd’hui à l’économie financiarisée dite « immatérielle ». Tout se passe comme si elle s’était « dématérialisée » sur la très longue durée. Dans la Grèce ancienne, c’est l’œuvre qui parle et qui signe. Par exemple, des vases ou des poteries parlent. Si l’œuvre parle, c’est qu’elle est censée être vivante. On trouve des signatures dès les premières manifestations de l’art grec. Je m’appuie ici sur les travaux de Cornélia Isler-Kerényi, historienne et archéologue[1]. Par exemple, sur la base d’une statue d’homme autour de 600 av. notre ère, il est écrit : « Euthykartides m’a dédié, le Naxien, qui m’a fait ». Une autre base porte l’inscription suivante : « Je suis fait d’une seule pierre, la statue et la base ». Là encore, l’œuvre s’adresse à celui qui la regarde. Déjà autour de 580-560 av. notre ère, on trouve cette inscription sur un grand vase : « Sophilos m’a peint ». Puis apparaissent les premières signatures d’un peintre et d’un potier sur une des oeuvres célèbres de la céramique grecque, le « Vase François ». La signature artisanale apparaît elle, beaucoup plus tard au Moyen-Age. En 1266, la signature des œuvres artisanales est reconnue et même obligatoire dans une loi anglaise qui impose de mettre la signature du boulanger sur les pains vendus pour identifier le fautif en cas de tricherie sur le poids ; il en ira de même pour les bijoux. Mais le terme « marque » apparaît en 1456, au début de la Renaissance. Construit à partir de l’ancien français « merchier », il signifie « tatouer » le bétail ou poser un signe sur un objet ou sur un logis, pour le rendre reconnaissable et identifier sa propriété. La marque se diffuse chez les artisans pour les distinguer et au XVIIe siècle, elle s’applique à une pratique professionnelle. Son extension s’effectue au XVIIIe siècle avec l’industrialisation : la marque identifie des produits à l’heure de leur reproduction en grande quantité. Puis elle s’étend aux entreprises industrielles. La première loi française de 1857 porte sur les « marques de fabrique » et de commerce : c’est la « marque déposée » qui garantit juridiquement un monopole. La marque devient à la fin du XIXe siècle, un « vendeur silencieux » selon un mot de Vance Packard, sociologue américain, pour séduire le consommateur et capter son attention. C’est pourquoi le développement de la marque est lié à la publicité et au marketing surtout pour les grandes entreprises américaines du XIXe siècle : Schweppes dès 1800, Levi’s en 1853, Coca-Cola en 1886, Philips en 1893 ou Gillette en 1905. La signature ou le logo c’est « la marque entreprise ». Aujourd’hui, à l’ère du numérique et de l’hyper-industrialisation, il s’agit toujours de tatouer des produits reproductibles et standardisés, mais à l’aide de puces Rfid : ainsi naît « l’internet des objets ». Tous les objets sont marqués et tatoués pour être tracés. De même pour les personnes identifiées et suivies par la télésurveillance, la géolocalisation, les capteurs ou la biométrie généralisée. La société de communication est tout autant une société de surveillance généralisée animée par l’obsession de tout suivre, tout voir et tout savoir, à l’ère de la pseudo-« transparence »… La marque est un symbole d’identité ou un emblème ; c’est le repère dans la société dite « de consommation et de communication ». La signature incarne la promesse de la marque qui permet à l’entreprise ou à un produit de se différencier, de perdurer et de faire rêver : comme dit le marketing, la marque a une fonction d’empreinte mentale. Elle fidélise le consommateur en le marquant. Désormais, la marque s’est étendue bien au–delà de l’entreprise : la signature de Picasso est devenu la marque d’une voiture, Philippe Stark est une marque, mais aussi les clubs de foot, certaines institutions comme le MOMA, voire des Universités comme la Sorbonne dupliquée aux Emirats-Arabes-Unis, ou encore le Louvre exporté à Abou Dhabi. Toutes ces marques sont qualifiées de « capital immatériel » et valorisées comme telles. La valeur, c’est l’empreinte mentale obtenue grâce à la signature et à la marque. En effet, avec la financiarisation de l’économie, triomphent l’immatériel et le simulacre. Yves Klein et Jean Baudrillard l’avaient annoncé, chacun à sa façon. Je renvoie ici à un rapport officiel de 2006, intitulé « L’économie de l’immatériel, la croissance de demain »[2] rédigé par Jean-Pierre Jouyet, alors chef de l’inspection des finances, et par Maurice Lévy, PDG de Publicis. Selon ce rapport, tout deviendrait « immatériel » sur le modèle de la finance depuis longtemps dématérialisée, passant de l’or à la monnaie fiduciaire, puis au bit d’information. Les entreprises et les institutions, les Nations et même les dirigeants politiques deviennent des marques et sont transformés en « actifs immatériels ». Tout deviendrait « capital immatériel » et donc susceptible de gestion comptable, de propriété intellectuelle et serait soumis à « la gouvernance par les nombres » (Alain Supiot[3]). Cette vision de super-comptable réduit toute activité à un actif qu’il faudrait simplement marqué, géré, comptabilisé et traité comme un signe dans un bilan comptable. La philosophie générale de ce rapport est la suivante : « La véritable richesse n’est pas concrète, elle est abstraite. Elle n’est pas matérielle, elle est immatérielle » ; « L’immatériel est aujourd’hui le facteur clé du succès des économies développées » ; « L’immatériel devient la principale source de création de valeur » ; « l’économie de l’immatériel sera la plus forte source de croissance des pays dans ce 21è siècle ». Ce dogme comptable et financier s’étend à la connaissance et à la culture traités aussi comme des « actifs ». Les rapporteurs précisent qu’ « il ne faut pas oublier qu’il existe une autre catégorie d’actifs immatériels : l’ensemble du champ des immatériels liés à l’imaginaire » ce qui leur permet de mettre sur le même plan, « la création artistique et culturelle », la publicité ou les marques… . Telle est la généralisation du paradigme publicitaire de la marque appliqué à toute la société. Ainsi tout s’équivaudrait. Car par les vertus de « l’immatériel », tout est transformé en signe. Tout devient interchangeable : la publicité équivaut à l’œuvre d’art, le divertissement à la culture, la connaissance à l’innovation, et la créativité à la création. C’est l’introduction de ce que Gilles Deleuze avait appelé « l’équivaloir généralisé », préalable à la soumission de tous les signes indistincts à un référent unique, à savoir « l’équivalent général ». De son côté, Jean Baudrillard identifiait l’ère de la simulation qui « s’ouvre par une liquidation de tous les référentiels – pire par leur résurrection artificielle dans les systèmes de signes, matériau plus ductile que le sens, en ce qu’il s’offre à tous les systèmes d’équivalence »[4]. Par voie de conséquence, Baudrillard distinguait quatre stades de la valeur définissant aussi quatre statuts de l’image : - Le stade naturel de la valeur qui renvoie à un référent naturel : c’est la « valeur d’usage ». L’image est le reflet d’une réalité profonde : c’est le stade de la représentation. - Le stade marchand de la valeur qui renvoie à un référent universel à savoir l’« équivalent général » qui est la monnaie ou « valeur d’échange ». L’mage masque et dénature une réalité profonde : c’est le stade de la dissimulation. - Le stade structural de la valeur qui renvoie à des codes culturels ou à des modèles ; c’est la valeur-signe. L’image masque l’absence de réalité profonde : c’est le stade de l’apparence. - Et enfin, le stade fractal ou viral de la valeur qui renvoie à des simulacres et des fictions : il n’y a plus de référent. L’image est sans rapport avec une quelconque réalité, elle est un simulacre. Tout événement a lieu « sous vide » car il s’opère dans des spectacles télévisuels. Avec le simulacre et la simulation, le réel devient second par rapport à la fiction, voire absent et superflu : « Dissimuler est feindre de ne pas avoir ce qu’on a. Simuler est feindre d’avoir ce qu’on n’a pas »[5]. Telle est la société dite « de communication » dans laquelle triomphe la manipulation des signes et des symboles, d’où la centralité de la marque-signature qui désigne un sujet absent. Comme l’a montré Lucien Sfez[6], dans sa Critique de la communication, l’histoire de la publicité peut être résumée en trois moments : d’abord, la réclame qui représente le produit, puis la marque qui décroche par rapport au produit pour désigner une expérience ou un climat et enfin, la signature qui sert de repère quand le sens a disparu. - La réclame renvoie au produit dont elle vante les bénéfices fonctionnels ou les effets miraculeux : on est dans le registre de la représentation, le signe réfère à l’objet (par ex. le savon de Marseille « lave » mieux) ; - Les marques par le biais des métaphores et allégories, sont transformées en êtres mystérieux qui incarnent les propriétés psycho-sociales du produit (par ex. « la mère Denis ») ; il y a décrochage par rapport à la fonctionnalité : on est dans le registre de l’expression ; - Enfin, la publicité est sans référent, seule la signature compte (par ex. France Télécom signe « un avenir d’avance »). C’est selon Sfez, le « tautisme » (tautologie+ autisme) caractéristique d’une société de la communication, c’est-à-dire la répétition imperturbable du même (tautologie), sur le mode médiatique (« je répète donc je prouve »), et la perte de sens, marquant l’enfermement du sujet dans une boucle sans fin (autisme). La répétition de la marque qui incarcère le sujet consommateur fidélisé dans la fascination et la sidération, est l’indice de la privation de sens, nouvelle forme de « la sensure », écrit avec deux « s » selon Bernard Noël, ce qu’il a nommé « la castration mentale »[7]. Cette privation de sens est indolore et invisible, mais elle vide de l’intérieur et constitue une intériorité vide. Il s’agit plus fondamentalement de la dilapidation du symbolique qui fait tenir une société en lui servant de référence : ce que le Phédon de Platon nommait le clou. Faute de matérialité, les « actifs immatériels » s’imposent. Faute de symbolique qui les fixe tel un clou, les signes errent. La signature est une tentative désespérée pour stopper la dispersion des signes. Et la marque vise à établir un ersatz de repère symbolique dans une société éclatée qui se délite, mais « au nom de » la communication. P.M. En hommage amical à Alexandre Périgot, aux Magasins Généraux, le 7 avril 2018[1]

C. Isler-Kérényi, « Le travail dans l’imaginaire grec» in Qu‘est-ce qu’un régime de travail réellement humain? Actes du Colloque de Cerisy. Paris, Hermann, 2018 (à paraître sept. 2018). [2] Publié à La Documentation Française: www.finances.gouv.fr/directions_services/sircom/technologies_info/immateriel/immateriel.pdf [3] Alain Supiot, La gouvernance par les nombres. Paris. Fayard. 2015 [4] Jean Baudrillard, Simulacre et simulation. Paris. Galilée, 1981, p. 11. [5] idem, p. 12. [6] Lucien Sfez, Critique de la communication. Paris. Le Seuil. 1992. [7] Bernard Noël, La castration mentale. Paris, P.O.L. 1997.

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sometimes you win sometimes you lose ( 2010)

pawel mosciski

Le lancer d’un tube abolira-t-il jamais le hasard? Pawel Moscicki Walter Benjamin a écrit dans un des courts chapitres extraits de son autobiographie Enfance berlinoise vers mil neuf cent : J’habitais le XIXe siècle comme un mollusque habite sa coquille, et ce siècle maintenant se trouve devant moi, creux comme une coquille vide. Je la porte à mon oreille. Ce que j’entends ? Je n’entends pas le bruit des canons de campagne ou la musique de bal d’Offenbach, pas plus que le hurlement des sirènes d’usine ou les cris qui résonnent, à midi, à la corbeille de la Bourse ; je n’entends pas même le piétinement des chevaux sur les pavés ou les marches militaires de la relève de la garde. Non, ce que j’entends, c’est le bref fracas de l’anthracite qui tombe du seau en métal dans un poêle en fonte, la sourde explosion quand s’allume la flamme du bec Auer et le grincement du globe de la lampe sur la griffe de laiton lorsqu’une voiture passe dans la rue. D’autres bruits encore, comme le cliquetis de la corbeille à clés, les deux sonnettes de l’escalier de devant et de l’escalier de derrière[1]. L’installation d’Alexandre Perigot, Sometimes You Win, Sometimes You Lose [Parfois vous gagnez parfois vous perdez], prolonge une question fondamentale : qu’entend un artiste lorsqu’il colle à son oreille la coquille contenant les bruits de son siècle ? Que retient Alexandre Perigot lorsqu’il prête attention au paysage sonore de notre époque ? Serait-ce le vacarme des innombrables actes de violence, les éclats triomphants des découvertes sans précédent qui la traversent ou bien les vibrations d’un bourdonnement à peine reconnaissable provenant d’une coquille vide similaire à celle de Walter Benjamin ? Pour tenter de répondre même provisoirement à cette question, il est important de considérer la signification de cette œuvre au niveau de son organisation matérielle. Après tout, les prémisses philosophiques de l’installation – qui ne peuvent ni se voir ni s’entendre – reposent sur ce facteur. L’installation est constituée de tubes en plastique dispersés sur une surface. Reliée à une centrale d’aspiration, la structure contient un objet métallique qui est propulsé à l’intérieur du circuit tubulaire dont le frottement produit un bruit saccadé. Le préliminaire de l’installation est un des éléments clés pour la comprendre. Avant d’être disposés dans le lieu, les tuyaux formaient une inscription : « sometimes you win sometimes you lose ». Le travail d’Alexandre Perigot est une manifestation matérielle du concept de mémoire. Les théories philosophiques, auxquelles on se réfère ici, oppose la mémoire volontaire qui opère selon une reconstruction subjective du passé à la mémoire involontaire dépendante d’éléments concrets. L’apport de Perigot à ce sujet peut être éclairé par un autre texte de Walter Benjamin, Sur le pouvoir d’imitation, dans lequel ce dernier utilise le concept de « ressemblances non sensibles » contenues dans toute construction de sens. La plus parfaite « archive de la ressemblance non sensible » est le langage, qui repose sur la relation purement arbitraire entre la forme graphique du mot et le signifié. Pour citer Benjamin : « C’est une ressemblance non sensible qui associe non seulement le dit et le sens visé, mais aussi l’écrit et le sens visé, et pareillement le dit et l’écrit »[2]. L’installation de Perigot est elle aussi traversée par des conduites mimétiques; les relations entre le texte et le son, entre le travail préparatoire et son actualité, reposent sur un jeu de correspondances, un lien arbitraire qui ne peut être manifeste ou visible, mais qui néanmoins anime la structure. La mémoire est intrinsèque, pour ainsi dire, de la dynamique matérielle de l’installation. Considérons dans cette même optique l’étrange « relation sans relation » entre le son et son passé immémorial. Cette installation nous confronte à la perte de l’essence du logos. Ce qui reste du langage pur, l’artiste l’expose aux dangers du hasard[3]. Le résultat de cet effondrement du discours, dont le texte écrit représentait la forme stable, ressort dans l’environnement acoustique où domine un vacarme presque insupportable. N’est-ce pas cette distance vis-à-vis du sens établi, en prise avec le développement de nouveaux media, qui est la marque du siècle passé, l’héritage qu’il nous laisse pour les jours à venir ? Une pléthore de media, différents outils de représentation artistique se retrouvent, pour reprendre les mots de Jean-Luc Nancy, sans commune mesure[4], incapables de communiquer ensemble, faute de médiateur. Cette vérité est peut-être plus évidente aujourd’hui que par le passé. Entre les différents media n’existent ni médiation, ni ordre harmonieux. Un fossé, une coupure séparent les différents systèmes de représentation; ce qui les rend aussi excessifs que le bruit qui parcourt l’espace de l’installation. On peut dire que le lieu de travail de Perigot, son locus se situe précisément dans l’écart, la distanciation entre l’ensemble des significations, l’absence de sensus communis. Une autre des ressemblances non sensibles du travail de l’artiste se retrouve dans son imitation des voies de communication. L’impossibilité d’inscrire la totalité des signifiés dans une structure stable détériore la manière dont nous communiquons. La communication ne peut plus se confondre avec une construction rationnelle pour achever un consensus social; son modèle est plutôt un « chaosmos » de bruissement, de murmure, de sonnerie et d’échos provenant des différentes transmissions, des multiples forces en présence qui puisent leur légitimité de leur seule existence. En ce sens, Sometimes You Win Sometimes You Lose porte, à l’intérieur même de sa structure, la mémoire du siècle en cours. En exposant ses tensions internes, l’installation est le miroir du monde dans lequel nous vivons. La dimension philosophique de l’installation est strictement compatible, même si d’une manière non sensible, avec sa vocation politique. « Sometimes you win sometimes you lose » n’est pas juste un proverbe quelconque, un slogan qui peut être facilement remplacé par un autre. Cette inscription désigne notre siècle, est l’un de ses commandements clés. Si la communication évolue sous l’effet d’une multiplicité chaotique de voix, l’ordre qui la régule devient une sorte de mythologie profane reposant sur la notion cruciale de destin. Le texte sur lequel est bâtie l’installation est une des incantations toutes-puissantes de ce capitalisme culturel récent, qui, comme le fait remarquer Benjamin dans un de ses textes courts posthumes, fonctionne comme une religion de pur culte, sans système théologique[5]. Dans cette religion sans doctrine la position des individus dépend entièrement de leur habileté à se conformer aux règles générales et devenues naturelles des nouvelles sociétés capitalistes. Il est facile de trouver des contextes « pertinents » pour illustrer la formule « sometimes you win sometimes you lose ». Si vous perdez votre emploi, si vous n’en trouvez pas d’autre ou si vous êtes obligé de travailler dans des conditions humiliantes, les gens qui approuvent le système vous serviront cette phrase. Vous ne pouvez vous plaindre de personne. Votre situation est un coup du destin ou de malchance mais aucunement la conséquence d’une décision humaine correspondant à un agenda politique. Les groupes marginalisés ou défavorisés qui ne peuvent pas être à la hauteur de ces « lois naturelles » imprévisibles et incontestables ont droit au même scénario. Le slogan utilisé par Perigot dans son installation peut facilement fonctionner, et fonctionne souvent, pour excuser la négligence sociale et l’indifférence éthique des politiques quotidiennes. Derrière le voile de cette nouvelle piété profane se cache l’injustice et la violence structurale. C’est un pur hasard, une circonstance imprévisible, qui condamne les gens à l’extrême pauvreté ou qui leur assure une vie heureuse et luxueuse parmi les autres membres de l’élite. Les rituels et les dogmes de nos sociétés si développées se limitent à exécuter quelques-uns des principes fondamentaux de l’économie néolibérale; ce qui aboutit à la création d’une nouvelle doxa profane au sein de laquelle le moindre achèvement politique de la modernité peut devenir une caricature de lui-même. Le contenu critique de l’installation est basé sur sa propre ambiguïté. D’une part, la ressemblance non sensible est sa base matérielle, le principe caché de tout le mécanisme et de sa structure temporelle (relation entre le texte endommagé et les restes acoustiques). D’autre part, le principe d’un flux chaotique dirigé uniquement par le hasard du libre marché économique est le principal sujet de sa réflexion critique. La question qu’on se pose par conséquent est de savoir si le projet de Perigot est d’abolir le risque d’une politique soumise au hasard ou si son projet suit secrètement les principes de base de cette politique. On peut également envisager que la création de cet espace acoustique tente de créer un ordre alternatif de « dissemblance » pour remettre en question l’ordre initial. Dans ce cas Sometimes You Win Sometimes You Lose formerait un simulacre du système mondial dans le but d’ébranler sa légitimité. Il convient de ne pas oublier cette ambiguïté en faveur d’une vision univoque de son travail. Car comme l’ambivalence de Sometimes You Win Sometimes You Lose n’est rien de moins qu’une aporie de notre époque, elle s’inscrit au cœur même de sa Leitkultur. Aucun retour en arrière n’est possible sur le chemin qui mène – comme Perigot nous l’a magnifiquement et très clairement exposé – au raffut de l’incohésion fondamentale qui se niche au sein de notre expérience sensible et sociale. Si nous voulons supporter ces « temps difficiles » et inventer un autre fonds sonore pour le siècle qui vient, une autre musique capable de remplir nos coquilles vides, nous devons commencer par écouter attentivement le murmure du passé oublié et pourtant si intensivement présent.

[1] Walter Benjamin, Sens unique précédé de Enfance berlinoise, Paris, 10/18, 2000, p. 48. Traduit par Jean lacoste. [2] Walter Benjamin, « Sur le pouvoir d’imitation », Oeuvres II, Paris, Gallimard, 2000, p. 362. Traduit par Maurice de Gandillac, revue par Pierre Rusch. [3] Le comportement artistique de Perigot renvoit à la philosophie de la littérature de Stéphane Mallarmé selon laquelle, comme il l’a écrit dans un poème célèbre, « Un coup de dés jamais n’abolira le hazard ». [4] Cf. Jean-Luc Nancy, « L’oscillation distincte », in: Sans commune mesure. Image et texte dans l’art actuel, Editions Léo Scherer, Paris 2002, p. 6-20. Voir aussi, dans le même volume, Régis Durand, « Sans commune mesure », p. 20-32. [5] Cf. Walter Benjamin, « Capitalism as Religion », in: Idem, Selected Writings, vol. 1, ed. Marcus Bullock, Michael W. Jennings, Harvard University Press, London 1996, p. 288-292.

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blondasses ( 2002)

jean yves jouannais

un art agricole

blondasses, ce sont des meules de foin en plein champ coiffées à la manière de stars américaines, autant dire internationales. Une meule Claudia Schiffer. Une meule Pamela Anderson. Une meule Sharon Stone. Où s'établit un rapport d'équivalence entre les icônes médiatiques et les Organismes Génétiquement Modifiés. Autant d'organismes en effet modifiés, profilés, sélectionnés, améliorés afin de gagner en aura, en vitesse de production et de diffusion, en marges bénéficiaires. Des produits dont la part naturelle se voit réduite à sa dimension la plus congrue. Des produits customisés pour la grande distribution, celle du grand marché céréalier comme celle du show business universel. Il ne s'agit pas néanmoins, avec Blondasses, d'illustrer plaisamment un des questionnements les plus brûlants de notre actualité scientifique et biotechnologique. Nous sommes au-delà de l'allégorie. Et une vérité pointe à cette occasion, qui concerne le lieu toujours hypothétique d'où s'exprime la modernité, ou plus précisément, les espaces où le contemporain s'incarne avec le plus d'évidence. Il est troublant que cet épineux débat concernant les développements de la génétique dans un proche avenir se voit posé sur le terrain dévasté de l'agriculture, territoire progressivement désinvesti de toute symbolique, appauvri économiquement, moribond et unanimement sacrifié à l'échelle européenne. L'avenir s'annonce, terrible et passionnant, dans les campagnes amputées de leur folklore, avec plus d'évidence que dans les secteurs de la conquête de l'espace, de la microélectronique ou de la guerre bactériologique. Le clin d'œil à l'adresse de l'américanisation de nos cultures, dans tous les sens de ce terme, ouvre des perspectives sérieuses quant à une relecture du Land Art et à un redéploiement des opérations esthétiques dans le cadre champêtre. Rappelons que les étudiants de l'académie des Beaux-Arts de Sofia, dont Christo faisait partie au début des années 1950, devaient durant les week-ends aller travailler à la campagne. Leur mission consistait à mettre en valeur le paysage que traverse la section bulgare de l'Orient-Express. Ce train, venant de l'Ouest, était le seul d'où des occidentaux pouvaient voir défiler un pays communiste. Il s'agissait de glorifier le travail des paysans dans les kolkhozes. Les activités agricoles étaient dramatisées. Nous installions les machines dans des positions pleines de dynamisme. Nous disions aux paysans : placez cette moissonneuse-batteuse sur une petite colline, bien visible, comme sur un socle. Nous avons empilé des tuyaux, pour faire beau, alors qu'ils avaient été livrés pour construire une conduite d'eau près de la Maritza... Démarche similaire pour Nicolas Polissky et Constantin Batynkov qui ont construit cette année une sorte de ziggourat géante en paille dans la campagne au sud de Moscou avec l'aide d'un groupe de paysans. Des photographies documentent cette intervention. « L'édifice y est photographié comme s'il s'agissait du Taj Mahal tandis que les portraits des paysans au travail évoquent l'esthétique soviétique. ». Rappelons que la geste intellectuelle et burlesque initiée au début des années 1980 par la Société Perpendiculaire est également marquée par cette problématique de l'art agricole. Entre le questionnement métaphysique du sens du sillon et l'expertise esthétique des agencements de roues de foin bêchées, de l'art involontaire en milieu rural à la pratique poétique du patois des Deux Sèvres. Il semble difficile par ailleurs de ne pas faire le lien entre les mises en plis et en épis des Blondasses avec les intuitions lumineuses qu'Agnès Varda nous livre à l'occasion de son documentaire Les Glaneurs et la Glaneuse. "Au départ d'un film, il y a toujours une émotion. Cette fois-ci, celle de voir tant de gens qui vont ramasser ce qui traîne en fin de marchés ou récolter ce qu'ils peuvent dans les containers des grandes surfaces. Ces actions se passent en France qui est un pays riche où les sur-consommateurs sont en majorité. En fait, c'est le geste de ceux qui se baissent pour ramasser, qui sont obligés de le faire par pauvreté ou par économie, que j'ai vu se répéter, au point de me sentir motivée pour faire un film, même si ce geste a été immortalisé, sans connotation sociale, par le célèbre tableau des Glaneuses de Millet". Mais surtout, utilisant une minuscule caméra numérique, il semble à la cinéaste qu’une nouvelle posture s’impose à elle vis-à-vis de l’image, qui fait d’elle une glaneuse. Ou comment au sortir d’un siècle de cinéma comme art, une cinéaste retrouve ses marques dans le plus humble des gestes de la vie agricole, celui du grappillage des raisins laissés par le vendangeur, celui du rételage des herbes fanées, celui de la cueillette des baies sauvages dans les haies, celui du glanage des épis abandonnés par les moissonneurs. Filmer comme on voit le glaneur cheminant pas à pas recueillir les reliques de ce qui va tombant après le moissonneur (Du Bellay).

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radiopopeye (2003)

christophe fiat

popeye for ever

Qui est popeye? Le personnage de Popeye a été inventé par Faulkner. Popeye n’est pas seulement une publicité pour les épinards ou un héros de comic strips et de dessin animé créé par elzie Crisler segar mais Popeye est un personnage de roman. Le roman de Popeye s’appelle « sanctuaire ». alors Popeye est né en 1931 dans un coin pourri du Mississipi. Puis, Popeye meurt pendu parce qu’il est un assassin et un violeur. « sanctuaire » raconte l’histoire sordide à l’extrême de Popeye qui est un gangster sans envergure, hérédosyphilitique, sadique et impuissant et de Temple Drake qui est une petite allumeuse. Tant mieux pour les enfants qui mangent des épinards à cause de Popeye! Parce que l’art du roman consiste en théorie à développer une zone de contact rude et directe que trace Popeye. Comme ça, les enfants ne se feront plus d’illusions sur les mondes de l’art et sur la crise de la culture! Parce que l’art du roman consiste en théorie à rentrer en contact avec les forces élémentaires d’un présent non achevé, comme l’histoire d’amour entre Popeye et Temple Drake. Comme ça, les enfants sauront à quel point ce monde et cette crise sont bien réels, compte tenu de la langue! Parce que l’art du roman consiste en théorie à être une initiative linguistique dont le nom propre PoPeye est le moteur. manger des Épinards 1 Popeye? « Pop-eye! » Le regard (eye) que Popeye pose sur le monde est exorbitant à cause de la culture de masse (Pop), avec le roman noir anglais, les pulp magazines, le cinéma et la paralittérature. Quelle langue? une langue qui pourrait passer au travers de la culture de masse en faisant de la masse un peuplement. alors, il faut que cette langue soit un objet pointu ou une langue-éperon ou une langue-poignard à cause des épinards du Popeye de elzie Crisler segar (il faut comprendre les épinards de elzie Crisler segar comme la possibilité pour Popeye d’être Popeye et non une détermination ontologique). Qu’est-ce que l’épinard? « Mange au lieu de regarder en l’air! » « Épinards » vient de epina; épine. « Tu ne quitteras pas la table avant d’avoir tout mangé ce qu’il y a dans ton assiette! » L’épinard est une plante potagère aux feuilles épaisses et molles d’un vert soutenu et riches en vitamines et en sels minéraux. « si tu ne manges pas tes épinards, Popeye te mangera tout cru! » est-ce que connaître, savoir, penser, passe par l’ingurgitation d’aliments comme les épinards? « C’est bon, les épinards, regarde, c’est bon, regarde comme c’est bon! » est-ce qu’il y a un potentiel cannibale qui travaille de l’intérieur toute la connaissance? « si tu manges tes épinards, tu seras costaud comme Popeye! » est-ce qu’un mot ou une phrase peuventêtre des aliments? « Mange! » Comment est cette langue? « Mange! Mange! » Cette langue est une langue de combat mais d’un combat qui est la réalité éventuelle d’une réalité romanesque et poétique. « Mange! Mange! Mange! » À propos d‘un roman alimentaire 1 « sanctuaire » de Faulkner est un roman alimentaire, c‘est pour ça que la connaissance est cannibale et combative! oui mais les épinards, c‘est vert et « sanctuaire » est un roman noir! Je DÉCiDai Qu‘iL N‘y aVaiT auCuNe raisoN Pour Que Je Ne soNge Pas au ProFiT, Moi aussi DiT FauLKNer Je Pris Du TeMPs eT sPÉCuLai sur Ce Que PourraieNT ÊTre Les ProBLÈMes aCTueLs Pour uN HaBiTaNT Du MississiPi. Je M‘arrÊTai À Ce Que J‘ÉsTiMai ÊTre La rÉPoNse CorreCTe, eT iNVeNTai L‘HisToire La PLus eFFroyaBLe Qu‘oN Puisse iMagiNer. Je L‘ÉCriVis eN Trois seMaiNes. ou alors, il faut boire. « si tu bois, mon petit gars, tu seras un enfant-tyran toute ta vie et ce sera bien parce que tu seras fort comme Popeye! » « si tu bois, ma petite, tu seras une baby doll avec de longues jambes, des bras fluets et des fesses hautes et petites comme Temple Drake. » « Bois! Mange tes épinards! Bois! Mange tous tes épinards! Bois! Mange et tais-toi! » « De toute façon, que vous buviez ou pas, que vous mangiez ou pas, mes petits vous finirez par la perdre cette enfance perdue d’avance! » La culture, même la culture de masse, ça n’a jamais servi à transmettre. C’est juste bon à explorer le monde. Peuplement? si « sanctuaire » raconte une histoire sordide à l’extrême avec Popeye et Temple Drake + gowan qui est un étudiant ivrogne et lâche + goodwin qui est un contrebandier à la petite semaine + la femme de goodwin qui est une prostituée rangée + Tommy qui est un idiot congénital + Veal qui est un vieillard gâteux + Horace qui est un avocat brimé par sa femme, c’est pour peupler le Mississipi et les États-unis et toutes les mers du monde de tous les tarés de l’univers. « Le dollar est un billet vert comme les épinards et l’univers est noir comme un roman noir, les enfants, ne l’oubliez jamais les enfants! » le nom de temple draKe griffonnÉ sur le mur des chiottes & le sYndrome du pop-eYe Pour Faulkner, le roman consiste à reconstituer l’ordre réel des événements par un spectateur du drame (eye) qui d’abord, extérieur et indifférent, se prend vite au jeu et qui au bout de quelques pages se trouve lui aussi, impliqué dans des affaires qui ne le concernent pas (Pop). Pourquoi? Pour ne pas être la cible des tarés (Popeye) du Mississipi. Mais ces témoins oculaires s’exposent à n’être pas toujours crus quand les spectacles qu’ils révèlent sont de nature trop scandaleuse (le nom de Temple Drake est griffonné sur le mur des chiottes). aussi l’important, pour Faulkner, est l’espèce de fascination que la découverte de ces spectacles exerce sur les témoins : « Dans le silence, Tommy pouvait entendre le léger et régulier froissement de la balle de maïs qui garnissait la paillasse sur laquelle Temple était couchée, les mains croisées sur la poitrine, les hanches droites et jointes hiératiquement, comme une statue gisante sur un ancien tombeau. » la littÉrature est une arme 1 La boxe, oui, oui. « Je veux aller voir un match de boxe après manger! » crient les enfants qui aiment Popeye. un bon roman est un combat de boxe. un bon roman est une anthropologie de la boxe. oui mais le ring n’est pas une scène, le ring n’est qu’un moyen pour que la boxe permette à la littérature de rivaliser avec toutes les armes conventionnelles et non conventionnelles de nos démocratie avancées1. est-ce que la littérature est une arme plus intelligente que la moyenne? « oui » dit le boxeur. Parce que la littérature paralyse l’ennemi sans le tuer. La littérature ne lynche pas. Mais la littérature est une arme de quatrième génération dont la mise au point se réalise dans les laboratoires des écrivains du sud des États-unis. Dans un premier temps, l’avantage de la littérature sur les autres armes, c’est qu’elle possède des effets qui sont difficilement détectables. ensuite, la littérature a des effets de plus en plus sélectifs sur certaines fonctions cérébrales en particulier, qui sont des effets subtils, donc naturels. ainsi, la littérature active des gènes bien précis qui peuvent déclencher des phénomènes de vie et d’exubérance de la vie (contre les effets pathogènes des armes de deuxième génération — revolvers — et de troisième génération — bombes atomiques). la littÉrature est une arme 2 premier exemple d’arme littéraire de quatrième génération ou l’apparition de popeye dans « sanctuaire » de William faulkner : « Derrière lui, l’oiseau chanta de nouveau, trois mesures monotones, constamment répétées : un chant à la fois dépourvu de sens et profond, qui s’éleva du silence plein de soupirs et de paix dans lequel le lieu semblait s’isoler, et d’où surgit, l’instant d’après, le bruit d’une automobile qui passa sur la route et mourut dans le lointain. ayant bu, l’homme restait à genoux près de la source. ‹ C’est un revolver que tu as dans cette poche? › fit Popeye. De l’autre côté de la source, les yeux de Popeye fixaient l’homme, semblables à deux boutons de caoutchouc noir et souple. ‹ Je te parle, tu entends › reprit Popeye. ‹ Qu’est-ce que tu as dans ta poche? › L’homme avait toujours son veston sur le bras. il allongea une main vers le veston. D’une poche dépassait un chapeau de feutre bouchonné, et de l’autre un livre. ‹ Laquelle? › dit-il. ‹ inutile de me faire voir ›, fit Popeye, ‹ suffit de me le dire ›. La main s’arrêta dans son geste. ‹ C’est un livre. › ‹ Quel livre? › demanda Popeye. ‹ un livre tout simplement. un livre comme tout le monde en lit. il y a des gens qui lisent.› ‹Tu lis des livres?› dit Popeye.» deuxième exemple d’arme littéraire de quatrième génération ou la disparition de popeye dans « sanctuaire » de William faulkner : « À six heures, on vint le chercher. Le pasteur accompagna Popeye, la main sous son coude, et il demeura en prières, au bas de l’échafaud pendant qu’on ajustait la corde et qu’on la faisait passer par dessus la tête huilée et luisante de Popeye en dérangeant sa coiffure. Comme il avait les mains liées, Popeye se mit à secouer la tête pour rejeter ses cheveux en arrière chaque fois qu’ils retombaient par devant. Le pasteur priait, les autres étaient à leur poste, immobiles, la tête inclinée. Popeye se mit à faire de petits signes de têtes. ‹ Pssst! › fit-il, et ce ‹ Pssst › passa comme une lame à travers le bourdonnement de la voix du pasteur; ‹ Pssst! ›. Le shérif le regarda ; il cessa de secouer la tête et demeura raide comme s’il avait eu un œuf en équilibre sur le crâne. ‹ arrange-moi un peu les cheveux, Jack › dit- il. ‹ Comment donc, fit le shérif. Je vais t’arranger ça ›. et il bascula la trappe. » si PoPeye esT MÉCHaNT CoMMe Ça aVeC TouT Le MoNDe C’esT ParCe Que PoPeye Ne FaiT Pas La DiFFÉreNCe eNTre uN rÉVoLVer eT uN LiVre. popeYe est À la radio 1 Maintenant, dites : « PoPeyyye! » Faites comme si vous étiez à la radio, allez dites : « PoPeyyye! PoPeyyye! PoPeyyye! ». Vous êtes à la radio. Parce que le destin de la littérature, depuis ezra Pound et antonin artaud, est de finir à la radio. il faut bien qu’il y ait une physique de la littérature. il faut bien qu’il se passe quelque chose de la bouche-lipstick-sexe de Temple Drake qui a les lèvres audacieusement peintes à la bouche tabagique mort de Popeye, grimaçante à cause des volutes de fumée des cigarettes. Pas de « Pop-eyes » sans stéréophonie. Parce qu’il faut bien les lire et qu’ils se lisent les romans! il faut bien les faire parler! ainsi, compte tenu du fait que le roman est l’axe d’une langue de combat qui est toujours en devenir et encore inachevée, le roman se constitue et sous nos yeux et dans nos oreilles. alors la littérature devient un objet sonore hallucinant. il faut bien que les rafales de terreur de « sanctuaire » déferlent! C’est pour ça que la langue de la littérature est une langue qui est un objet pointu ou une langue- éperon ou une langue-poignard. enregistrer? L’objet sonore est toujours un multiple (ce n’est pas une note). L’objet sonore est toujours une pluralité d’événements (il n’est pas une figure). Écouter? oui mais est-ce que Faulkner est halluciné par le spectacle d’une humanité inhumaine qui pourrait avoir des épinards au lieu de sang dans les veines? si c’est le cas, le nom propre PoPeye serait aussi un cri de guerre : « PoPeyyye! ». Popeye / PoPeyyye est-il un monstre? Dites : « PoPeyyye! ». il faut que la littérature sonne monstrueusement pour qu’elle soit lisible! il faut qu’il y ait une ritournelle singulière qui fasse sortir la littérature du cadre du livre! il faut qu’il y ait un effet gramophone qui bruisse si fort, qu’on entendrait la voix de Popeye à la radio et les cris de Temple Drake violée dans la grange! il faut qu’il y ait une radiophonie catastrophique! il faut qu’il y ait une bande sonore! il faut qu’il y ait de l’expérience d’une voix off qui ne serait pas une expérience du parler, mais qui serait l’expérience de l’écriture poussée à se laisser dire, contredire dans quelque chose qui est l’écrit, hors de tous les livres, et qui serait un combat de la voix contre les phrases! popeYe est À la radio 2 Parce que dès que la culture et l’art ont atteint leur indépendance, un processus s’enclenche dans lequel la culture et l’art mettent en doute leur fonction sociale. alors tout se dissout. Même la littérature? Même la littérature! Pour ne pas que la littérature se dissolve, il faut que la littérature change de support et devienne un signe plus volumineux, plus riche, que le combat active dans l’oreille interne et externe du lecteur. La voix doit mettre la littérature en situation. Voix mystique? Voix musiquée? Non! Voix enregistrée. Ceci pour toucher directement le public de la culture de masse. Capacité hypertrophiée d’écoute! Pouvoir réceptif! Écoutes en série! De la respiration! Le bouche-à-oreille! Les rumeurs! Les ambiances! et puis le souci du direct, du live, du premier jet qui compte! popeYe est À la radio 3 CoNseiLs Pour Lire L’aPPariTioN eT La DisPariTioN De PoPeye DaNs « sanctuaire » à La radio. il faut utiliser au maximum l’idée de revolver, en ayant recours à des bruitages de détonation parce que la détonation d’un revolver, c’est plus explicite à la radio que le bruit des pages d’un livre qu’on feuillète, même si ce livre est « sanctuaire » de Faulkner ( à défaut de revolver, il faut créer une dramaturgie spécifique, par exemple, une salle de boxe. Cf. : La dialectique du TIME / TIME OUT p. 30). en même temps, l’utilisation du revolver permet d’insister sur l’idée que la littérature est une arme et non un outil. en effet, l’avantage avec la radio, c’est qu’elle a un impact qui se manifeste de trois façons : premièrement, la radio est une source de communication de masse ce qui fait qu’elle rend accessible les arts sonores qui existent (PaN!), deuxièmement, la radio est une source de création technologique ce qui permet de complexifier les effets de langue (PaN! PaN!), troisièmement, la radio est la source d’une révolution philosophique parce que la radio suscite des aspirations artistiques nouvelles dans le domaine de la performance en temps réel et des formes d’art live et ceci grâce à l’enregistrement et à la diffusion (PaN! PaN! PaN!). Popeye est à la radio 4 adaptation D’une histoire de Popeye à la radio à partir des phases et modes de l’art radio : « Derrière lui, l’oiseau chanta de nouveau, trois mesures monotones, constamment répétées. » Performance live (temps réel) son + image / musique + couleur / parole + geste : «un chant à la fois dépourvu de sens et profond, qui s’éleva du silence plein de soupirs et de paix dans lequel le lieu semblait s’isoler, et d’où surgit, l’instant d’après, le bruit d’une automobile qui passa sur la route et mourut dans le lointain. » enregistrement radiophonique et orchestration (temps studio) son / musique / parole. « ayant bu, l’homme restait à genoux près de la source. ‹ C’est un revolver que tu as dans cette poche? › fit Popeye ». installation audio (temps studio + temps réel) son + image / musique + couleur / parole + geste. « De l’autre côté de la source, les yeux de Popeye fixaient l’homme, semblables à deux boutons de caoutchouc noirs et souples. ‹ Je te parle, tu entends › reprit Popeye. ‹ Qu’est-ce que tu as dans ta poche? › L’homme avait toujours son veston sur le bras. il allongea une main vers le veston. D’une poche dépassait un chapeau de feutre bouchonné, et de l’autre un livre. ‹Laquelle? › dit-il. ‹ inutile de me faire voir, fit Popeye, suffit de me le dire.› La main s’arrêta dans son geste. ‹ C’est un livre.› ‹ Quel livre? › demanda Popeye. ‹ un livre tout simplement. un livre comme tout le monde en lit. il y a des gens qui lisent. › ‹ Tu lis des livres? › dit Popeye ». enregistrement sonore (temps studio) son / musique / parole. « À six heures, on vint le chercher. Le pasteur accompagna Popeye, la main sous son coude, et il demeura en prières au bas de l’échafaud pendant qu’on ajustait la corde et qu’on la faisait passer par-dessus la tête huilée et luisante de Popeye en dérangeant sa coiffure. Comme il avait les mains liées, Popeye se mit à secouer la tête pour rejeter ses cheveux en arrière chaque fois qu’ils retombaient par-devant. Le pasteur priait, les autres étaient à leur poste, immobiles, la tête inclinée. Popeye se mit à faire de petits signes de tête. ‹ Pssst! › dit-il, et ce ‹ Pssst › passa comme une lame à travers le bourdonnement de la voix du pasteur ; ‹ Pssst! ›. Le shérif le regarda ; il cessa de secouer la tête et demeura raide comme s’il avait eu un œuf en équilibre sur le crâne. ‹ arrange-moi un peu les cheveux, Jack › dit-il. ‹ Comment donc, fit le shérif. Je vais t’arranger ça.› et il bascula la trappe ». installation live multimédia (temps studio + temps réel) son + image / musique + couleur / parole + geste. le spectacle de la littÉrature Maintenant, Popeye est sur un ring. Le Mississipi est un ring. Le roman est un ring. Faulkner est un ring. il n’y a pas que l’art et la culture dans la vie, il y a aussi le ring! ici l’idée de ring est importante parce qu’aucun livre ne peut contenir autant d’éthique qu’un ring! si ici, il faut de l’éthique, c’est parce qu’il se joue entre Popeye et Temple Drake le destin anatomique de la littérature qui est le point de départ d’une littérature chaotique dont « sanctuaire » est la crise. en effet, dans la littérature, on donne toujours du front contre les bornes du langage mais sur un ring, on donne du front contre quelqu’un. Qui? C’est Temple Drake. Le passage du langage au ring développe l’espace d’un lieu nouveau qui se révèle au détour de la dialectique. est-ce que l’éthique est faite d’après une méthode dont on ne peut pas rendre compte en littérature? Ça dépend de l’état du chaos! est-ce que l’éthique explique tout sauf la possibilité pour un homme vivant (William Faulkner) dans le temps, de l’écrire? Ça dépend encore de l’état du chaos? est-ce que l’éthique ne peut pas apparaître dans un temps quelconque? Chaos = K.O. TIME / TIME OUT du match de boxe. TIME : Popeye contre Temple Drake. TIME OUT : on dit « la » littérature. La littérature est féminine. TIME : Popeye : le boxeur est un engrenage vivant. Temple Drake : le boxeur est à la frontière entre la nature et la culture d’où découle un exotisme préfabriqué. TIME OUT : quant à la littérature, elle est le lieu. elle a à se situer dans des lieux de plus en plus grands qui sont jetés et projetés et qui sont des mécanismes de projection. Mais aussi la littérature doit trouver en elle ce lieu qu’elle est (qui peut être par extension logique et géographique, c’est-à-dire le ring.« si la littérature ne peut constituer en elle, ce lieu qu’elle est, elle passe sans cesse par l’auteur pour revenir à elle. alors elle tourne autour d’un objet pour revenir à elle. D’où l’idée de révolution pour qualifier la littérature comme arme. Ce qui captive le lecteur dans son intériorité parce que le lecteur devient un contre-héros à mesure que Popeye devient un héros. La révolution ou le mélo-drame de Popeye et de Temple Drake : Popeye avec ses « pop-eyes » expose la littérature au « temple » de Temple Drake, mais cette exposition optique et audio phonique ne dure pas plus longtemps qu’un match de boxe. est-ce que le ring peut remplacer un temple? le dialectiQue du TIME / TIME OUT séance de cogne (sans épinards) entre Popeye et Temple Drake que Popeye va violer parce que lui croit à la castration et elle non. TIME! Les gants de Popeye et de Temple Drake se touchent. Popeye s’avance sur Temple Drake tout de suite et la harcèle de jabs rapides que Temple Drake dévie. Temple Drake arrête Popeye aussitôt pour lui dire : « Si tu veux me faire la chasse, Popeye, garde tes mains hautes ou je vais t’envoyer au plancher. Deck you! » Temple Drake relève sa garde. Popeye reprend sa marche en avant. Popeye qui n’a pas pris d’épinards est déterminé à taper plus fort que d’habitude sur une femme, quitte à ce que Temple Drake tape plus fort que lui et c’est bien ce qui se passe (Popeye se demande si Temple Drake n’est pas sous épinards). Popeye et Temple Drake s’observent. Popeye essaye de trouver sa distance. Quelques jabs et quelques droites bloqués de part et d’autre. Popeye touche Temple Drake d’un jab au corps, avant de lui sauter dessus avec une combinaison gauche droite crochet du gauche. Boum! (on entend « boum! » sur le ring.) Dans la poire à Temple Drake! Temple Drake se recule et contre-attaque aussitôt. Au lieu de se replier, Popeye attend Temple Drake de pied ferme en tentant de parer les coups. Temple Drake envoie à Popeye un direct du gauche en pleine bouche. Popeye s’accroche et prend Temple Drake à défaut grâce à sa botte favorite : feinte du jab et large cross du droit au visage alors que Temple Drake se déplace sur sa gauche pour esquiver Popeye. Pam! (on entend « pam! » sur le ring). Le poing de Popeye percute Temple Drake en pleine joue. Temple Drake fait « ok » de la tête à Popeye. Temple Drake est surprise que Popeye boxe aussi ardemment et accélère la cadence alors qu’il n’a pas pris d’épinards. Temple Drake s’avance sur Popeye, sa bouche déformée par son mouth-pièce, les yeux exorbités de concentration. Popeye se recule et jabbe pour essayer de se protéger. Temple Drake simule un direct du gauche et envoie à Popeye une droite sèche en plein flanc. Popeye accuse le coup et bat en retraite. Alors Popeye traque Temple Drake jusque dans un coin, jab, droite, jab et Popeye cueille Temple Drake d’un bel uppercut du droit quand Temple Drake se baisse pour éviter le jab de Popeye. Mais Temple Drake bloque néanmoins la plupart des coups de Popeye très efficacement : Popeye voit bien l’ouverture mais, le temps que le poing de Popeye arrive, Temple Drake a refermé le passage où elle s’est déplacée d’une rotation du buste. Temple Drake passe brusquement à la vitesse au-dessus et laboure la tête de Popeye de courts directs que Popeye ne voit pas venir. Popeye a le côté gauche du menton qui le picote. Popeye accuse un peu le coup et décide d’avancer sur Temple Drake mais Temple Drake stoppe net Popeye de plusieurs jabs au corps. TIME OUT! popeYe for ever alors que Popeye décide de violer Temple Drake parce que Temple Drake joue de l’effet de castration auquel elle ne croit pas à cause de l’inventaire de sa toilette, de ses étoffes, de ses matières, de son maquillage, le tout rehaussé par le jeu contrasté et quasi allégorique des couleurs comme le noir pour le mal, le rouge pour la luxure et le blanc pour la mort. Pourquoi est-ce que l’érection de Popeye « tombe » toujours? Parce que « ring » veut dire cercle. Pourquoi est-ce que l’érection de Popeye « tombe » toujours, même dans la littérature? Parce que la littérature exerce une beauté et un attrait trop violents sur Popeye, ce qui fait qu’il confond la littérature et Temple Drake. Popeye est sur le ring comme un cercle vicieux. alors, Dieu tient Popeye par les couilles, Dieu ou Faulkner ou elzie Crisler segar. Nom propre : Popeye. Caractéristiques : dilatation sémique de Popeye quand des scènes multiples et incongrues culturelles et artistiques surgissent à chaque fois qu’on prononce le nom PoPeye. Dites : « PoPeye! ». alors, ça surgit. C’est armé. il y a des interactions. Dites : « PoPeyyye! ». oui, on peut parler la bouche pleine d’épinards! Ça s’aventure. une vitesse absolue est atteinte. Dites : « PoPeyyye! ». oui, on peut penser la tête pleine d’épinards! Ça erre. est-ce la bonne vitesse pour dire les choses? Dites : « PoPeyyye! ». oui, on peut vivre la vie pleine d’épinards! il y a plein de petits récits qui racontent des histoires de Popeye aux enfants jusqu’à ce que le son et le sens de la langue fonctionnent et opèrent le passage entre l’écrit (le roman « sanctuaire ») et ce qui est entendu (« PoPeyyye! »). la littÉrature est une arme 3 PoPeye est un relais conceptuel ou une expérience éthique. La preuve : il y a un ring! Voilà, pourquoi Popeye, c’est mal. «Popeye, ce n’est pas bien, Popeye de taper sur les filles même si les filles s’appellent Temple Drake et même si ça se passe sur un ring, Popeye. » Voilà pourquoi le Popeye de William Faulkner est une brute épaisse. Voilà pourquoi Popeye finira par mourir. Parce que Popeye est une anomalie! Popeye ne sait pas ce qu’il faudrait faire, Popeye fait. C’est tout. Le champ social de Popeye. Dites : « PoPeyyye! ». oui, on peut aimer quelqu’un et manger des épinards en tête-à-tête avec lui. Á quoi pense le Popeye de elzie Crisler segar quand il mange des épinards et pourquoi le Popeye de William Faulkner ne mange pas d’épinards alors qu’il vit dans le Mississipi? est-ce que cette langue qu’est la littérature peut inventer de nouvelles raisons d’exister à cause de l’éthique? Le Popeye de William Faulkner ne mange pas d’épinards parce qu’il viole et tue à la place de manger. Violer et tuer, c’est connaître mais selon une logique du mal, alors que manger, c’est connaître selon une logique du bien. Combien y a t-il de raisons d’exister? est-ce que violer, c’est manger? Les enfants vont vite apprendre qu’il faut se placer de l’autre côté de la culture. Là où la langue bascule. Non pas avant la culture, ni après la culture mais à l’endroit où la culture se réalise! et l’art? Personne n’est obligé de savoir ce qu’est l’art, à part les artistes et Popeye 1. parce que la vérité est que nous nous trouvons tous engagés dans le besoin de loisirs et de divertissement parce que nous sommes tous assujettis au grand cycle de la vie, 2. Que c’est pure hypocrisie ou snobisme social que de nier pour nous le pouvoir de divertissement et d’amusement des choses qui font le divertissement et les loisirs Basculement de la langue et phénomène culturel En 1980, Robert Altman tourne un film sur Popeye. Le film s’appelle : « Popeye ». Robert Altman qui est produit par les studios Disney fait construire en bord de mer, sur l’île de Malte, un authentique village de marins dont le bois est importé de Hollande et du Canada. Le village s’appelle « Sweetheaven ». Ce village est composé de 165 maisons. Robert Altman fait aussi construire un immense brise-lame pour protéger le village et l’équipe du tournage des vents et des vagues pendant le tournage qui dure sept mois. Voici l’histoire de Popeye à Sweetheaven : Popeye vient au village pour rechercher son père qui l’a abandonné quand il était en bas âge. Aujourd’hui, le village de Popeye se visite, la preuve : info@popeyemalta.com. Est-ce qu’on peut visiter le village de Popeye à Malte comme on visite le roman « Sanctuaire » de Faulkner? 3. que pour autant que l’art et la culture soient menacés, ils sont certainement moins menacés par ceux qui remplissent leur temps vide au moyen des loisirs que par ceux qui le remplissent avec quelques gadgets éducatifs en vue d’améliorer leur position sociale. á propos d’un roman alimentaire 2 oui mais, pourquoi n’y a-t-il pas de rhétorique élargie au plaisir de manger, alors qu’il y a une rhétorique élargie au plaisir de faire l’amour? 1.Faulkner dit qu’iL a écrit l’hisToire la pLus effroyable qu’on puisse imaginer et que c’est un succès commercial. si Popeye, si le nom propre PoPeye fait basculer la langue, comment la langue bascule et quand? est-ce que Popeye est un artiste du mal comme Maldoror, entendu que Popeye est aussi un marin comme Maldoror qui dit qu’il voit depuis le bord de mer un navire en détresse à cause d’une tempête qui tire des coups de canon d’alarme avant de sombrer avec lenteur et majesté? 2. Faulkner dit qu’iL a écrit l’hisToire la pLus effroyable qu’on puisse imaginer et que c’est un succès commercial. si Faulkner et elzie Crisler segar n’avaient pas inventé Popeye, il faudrait que Popeye existe de toute façon parce que c’est de l’existence de Popeye que dépend la représentation de l’homme dans le roman (l’art) et dans le monde (la culture). oui Popeye est Popeye. Popeye = PoPeye. Popeye©. « sanctuaire » -de-Faulkner-est-le-roman-alimentaire-de-Popeye- en-personne. 3.Faulkner dit qu’iL a écrit l’hisToire la pLus effroyable qu’on puisse imaginer et que c’est un succès commercial. avec Popeye, et en Popeye, est né, dans une certaine mesure, l’avenir de toute la littérature. Cette littérature est chaotique à cause de la culture de masse (le roman noir anglais, les pulp magazines, le cinéma et la paralittérature). C’est une littérature qui dit comment il faut anticiper les époques qu’il nous reste à vivre. Littérature de survivant parce que le monde est devant nous et parce que le monde est modélisable parce que le monde est objectif et parce que le monde dépend de l’intervention d’une technique d’éloignement : « From beyond... ». 4. Faulkner dit qu’iL a écrit l’histoire la pLus effroyable qu’on puisse imaginer et que c’est un succès commercial. si « sanctuaire » est un des plus grands romans du XXe siècle, c’est qu’il n’est pas exagéré de chercher dans l’œuvre de Faulkner des substructures théologiques qui ne sont pas évocatrices d’une eschatologie mais qui enfoncent le clou concernant notre évolution dans un milieu post-métaphysique dont la mer (si l’on tient compte du récit du navire qui sombre de Maldoror) serait l’esprit et la terre, la matière. 5. Faulkner dit qu’iL a écrit l’hisToire la pLus effroyable qu’on puisse imaginer et que c’est un succès commercial. esprit? Quand on lit Faulkner, on est frappé par le dégoût visible qui le saisit devant l’acte sexuel en même temps que sa misogynie. Matière? Faulkner s’est référé au moins une fois à la bible par le titre d’un de ses romans « absalon! absalon! »: un titre qui évoque un rituel hébraïque de médiation du passé. Dialectique entre l’esprit et la matière : mais dans « sanctuaire », on ne peut pas comprendre les événements contemporains qui se passent autour de l’apparition et de la disparition de Popeye hors d’un contexte sacré qui donne son sens au roman, d’où le titre de « sanctuaire ». 6. Faulkner dit qu’iL a écrit l’hisToire la pLus effroyable qu’on puisse imaginer et que c’est un succès commercial. Dans « sanctuaire », Faulkner cherche à opérer sur le lecteur un envoûtement sacré dont Popeye est le héros et Temple Drake / temple — le « temple » est l’héroïne. ainsi on peut se demander si Popeye n’est pas un héros, justement parce que le lecteur chez Faulkner est un contre-héros qui est étranger à l’histoire qu’il lit tout en comprenant qu’il se passe quelque chose de monstrueux parce qu’il sent bien que le survivant de cette littérature chaotique sera sûrement lui, et pas les écrivains, ni Popeye. 7. Faulkner dit qu’iL a écrit l’hisToire la pLus effroyable qu’on puisse imaginer et que c’est un succès commercial. manger des Épinards 2 Le témoin idéal de Faulkner est le lecteur qui lit à la radio un poème inédit dédié à Popeye: La ritournelle de Popeye ou la consécration de Temple Drake (à réciter aux enfants malades qui aiment les épinards) Popeye a la bite en forme d’épis de maïs Popeye a les muscles pleins d’épinards Popeye est un héros qui prend des risques À cause des aventures qui tournent mal car Ce n’est pas facile quand on s’appelle « Popeye » De se faire aimer des filles. Popeye, être un marin sans bateau, c’est pareil Qu’être un chien dans un jeu de quilles.

de christophe fiat pour alexandre perigot à venise 2003.

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Olé Ola ( 2008 )

jean françois chougnet

le temple de perigot

«Je peux comprendre quʼil existe des gens qui apprécient les émotions dʼune corrida de taureaux et recherchent dans lʼarène un drame vivant, sans tricheries, mais ce que je nʼarrive pas à comprendre est quʼil existe des gens qui passent des jours et des jours à commenter une sorte de tauromachie et les mérites de tel matador en comparaison de tel autre.»1. Voilà comment Miguel de Unamuno dans un article de 1906 stigmatisait les palabres des aficionados. Le philosophe ne semblait pas avoir pris conscience, ou peut-être sʼen défendait-il, de la relation tendue quʼun aficionado entretient avec une manifestation aussi instantanée. Il sʼagit de compenser lʼincertitude de la réalité perçue qui meurt avec le taureau, dan lʼaprès-midi : pour cela, il reste le discours. Au même degré que lʼémotion ressentie, la parole est nécessaire au maintien de ce que lʼon a vu et dʼabord à sa survie. Le torero est, en la matière confronté aux mêmes contraintes que la danse : sans le discours, que reste-t-il de Nijinsky, dʼAnna Pavlova ou de Lydia Lopokova? Le discours est donc indispensable pour ce que Christian Delacampagne nomme une « esthétique de lʼinstant.»2. Un instant particulièrement fugace « car le problème, le vrai, cʼest quʼaucun des instants constitutifs de la corrida — cʼest-à-dire ce qui se passe, pendant vingt minutes, à lʼintérieur du ruedo — nʼexiste en soi puisquʼ aucun nʼest vu (ni ne peut être vu) de la même façon par chacun des milliers de spectateurs qui entourent lʼarène. » Juin 2008 : retour de José Tomás à Madrid après une longue absence volontaire, dans une arène qui lʼavait hué en 2001. Le torero est attendu, comme lʼon dit, avec scepticisme ou avec enthousiasme. Antonio Muñoz Molina, chroniqueur du supplément littéraire de El País sʼen offusque: « Si jʼétais peintre espagnol, y compris si jʼétais peintre espagnol ‹ aficionado › passionné pour les taureaux, cela me désolerait que lʼunique artiste espagnol digne de lʼattention du critique star du New York Times soit le torero José Tomás. Jʼai lu également quʼen plus dʼêtre artiste, José Tomás était poète. Et je ne peux mʼempêcher de penser à la vieille tradition de littérateurs capricieux occupés à remplir la cervelle dʼoiseau de certains toreros qui, probablement, se sont consacrés à cette occupation pour la simple raison que cela leur offrait la possibilité de ne pas mourir de faim. Le Chant funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías est un grand poème, certainement. Mais, je ne sais pas si cela compense les tonnes de lyrisme taurin aussi visqueux que du chorizo qui ont commencé à inonder les journaux, juste au moment où les toros, enfin, se sont, en réalité, transformés, pour la majeure partie des citoyens, en une pénible antiquaillerie qui survit seulement grâce aux subventions, comme toutes nos identités ancestrales.»3 Doit-on dès lors souscrire à ce que lʼon a pu appeler un « discours de la décadence »1? Certains mettent en avant la surabondance de drames et de souffrances retransmis par les media : en regard de ces images, le risque pris par le torero paraît bien mineur. À cela sʼajoute un discours classique sur le bon vieux temps qui nʼest évidemment pas spécifique à lʼart tauromachique. Aujourdʼhui, comme le dit rudement lʼéleveur Álvaro Domecq, les figures de l ́arène « no huelen a torero, huelen a gasosa »2. Dʼoù lʼélan, proche du délire, quand apparaît une révélation (ou simplement une différence) comme José Tomás. « Il a réinventé la lenteur, la géométrie rêveuse, lʼamour délicat des toros. Il attendait le toro sans bouger dʼun cil. Il prenait des coups et des cornes sans reculer dʼun pas. On lʼavait entendu dire : ‹ Quand je vais toréer, je laisse mon corps à lʼhôtel.› (...) Il se fait de lʼart lʼidée la plus haute et ne se soucie pas de son sang, pas plus de lʼargent ni de la gloire. Dans un monde de toreros électriques ou monotones, il apportait une grâce faite de temple, cet art de ralentir le temps et de sʼaccorder au rythme du toro, de lui mentir sans jamais le tromper.»3 Comme par hasard, quand il était enfant, José Tomás voulait être footballeur. Mais, le spectacle de la faute simulée et des simulacres détaillés à loisir par la télévision dans la retransmission du football sont des choses dans lesquelles il ne se reconnaît pas.4 Tomás — comme le grand Manolete avant lui — a choisi précisément la tauromachie pour assumer pleinement le risque, refusant le aliviarse, la tricherie comme on dit en jargon taurin. « I l est monstrueux » a dit de lui, admirativement, après une corrida où il fut trois fois blessé son talentueux collègue El Fundi. 5 Quand Alexandre Perigot mêle les fétiches du spectacle footballistique à lʼun des objets symboliques de la tauromachie, la muleta, il attaque juste, non seulement sur ce qui pourrait nʼêtre quʼune discussion de spécialistes, de celles qui précisément énervaient tant Unamuno il y a déjà un siècle, mais sur lʼévolution du monde. La muleta, au drap rouge dʼune jolie forme qui permet au torero dʼeffectuer son « travail », reflète pour le public lʼintimité qui se crée entre lui et le taureau et de son habileté à « manipuler » la bête. Rappelons dʼabord que le mot muleta désigne le bâton qui soutient le tissu 6 et, au sens large, une chose qui sert à maintenir une autre, une béquille, que sa couleur rouge nʼest que le produit de la tradition et non dʼune nécessité fonctionnelle car le taureau voit en deux couleurs. On pourrait parfaitement imaginer une corrida où le sable de lʼarène et les instruments textiles seraient uniformément colorés en International Klein Blue (IKB) ou en blanc. Des écharpes de supporters accrochées à un bâton feraient donc théoriquement lʼaffaire, reprenant lʼantique système. Avant le début du XXème siècle, de simples rubans de couleur étaient en effet accrochés à la béquille utilisée pour détourner le coup de taureau à la fin du combat, au moment de lʼestocade. I l y a dans cette pièce Olé Ola dʼAlexandre Perigot une forte charge contre le nivellement des identités, ce nivellement symbolisé par une culture commune de lʼécharpe de supporters, objet totalement globalisé que lʼon trouve aux couleurs de lʼéquipe iranienne ou de lʼéquipe des champions dʼEurope. Le spectacle taurin est malade, comme nombre de nos représentations collectives, dʼune certaine « footballisation », avec des arènes bruyantes comme des stades. « footballisation » va de pair avec incompréhension, en particulier par les intellectuels. Pour le football, comme lʼécrit Jean-Claude Michéa, « Lʼironie de lʼhistoire, cʼest que cette incapacité viscérale des intellectuels à comprendre de lʼintérieur une passion populaire (avec ce que celle-ci comporte, par nature, dʼexcès toujours possibles et de théâtralité nécessaire) est précisément ce qui interdit de critiquer, avec toute la radicalité requise, les monstrueuses dérives du football contemporain.»7 Comme le football, la corrida est malade du vedettariat. Cʼest sur les vedettes, les figuras, quʼa pesé lʼessentiel du développement du nombre des corridas, les premiers du classement, lʼescalafón, participent à plus de quatre-vingt corridas en Europe de mars à novembre: Enrique Ponce détient le record de plus de cent corridas par an de 1992 à 2001, alors quʼau milieu des années 1980, Espartaco et Niño de la Capea se disputaient la première place avec une soixantaine de corridas8. Pour la saison 2007, El Juli, la vedette la plus notable nʼa pas moins de quatre-vingt deux corridas à son actif et 110 oreilles. Pour pouvoir toréer beaucoup, les toreros, ont intérêt à affronter le plus souvent possible des taureaux similaires, homogénéisés. Cʼest sur lʼélevage du toro que lʼinflation des corridas a les conséquences les plus graves. Elle fait le jeu dʼélevages orientés vers la production en série dʼun animal capable de satisfaire les vétérinaires et les publics les plus exigeants, mais plus noble que brave, de sorte que lʼaffaiblissement

1 Miguel de Unamuno, « À propos du toreo », Nuevo mundo, 5 juillet 1906, in Écrits sur les taureaux, Arles: Les fondeurs de briques, 2008, p. 19–21. Traduction de Virginie Girard. Suerte en vocabulaire taurin signifie toute action réalisée par le torero devant le taureau. Le mot suerte se traduit également par chance. 2 Christian Delacampagne, « Voir ce que lʼon nʼa pas vu », Critique, no 723-724, août-septembre 2007, p. 602. Le ruedo est lʼespace compris dans lʼarène à lʼintérieur des barrières. 3 El País, 14 juin 2008. Antonio Muñoz Molina fait allusion au chef-dʼoeuvre de Federico Garcia Lorca, écrit en 1935 après la mort de son amant des suites dʼune blessure de taureau. S1 François Zumbiehl, Le discours de la corrida, Lagrasse: Verdier, 2008. 2 « Ils ne sentent plus le torero, ils sentent la limonade.», cité par Zumbiehl, op.cit., p. 114. 3 Francis Marmande, Le Monde, 24 septembre 2002, à lʼannonce du retrait à 27 ans — avant le retour en 2007 — du torero de Galapagár. Le mot temple vient du verbe templar qui signifie tempérer. Le temple consiste à harmoniser la vitesse du leurre à celle du toro, puis, à lʼintérieur de lʼéquilibre obtenu, à ralentir son geste pour ralentir la charge du taureau.4 Les détails biographiques sont empruntés à Fernando González Viñas, José Tomás, de lo Espiritual en el Arte, Madrid: Berenice, 2008. 5 El País, 16 juin 2008. 6 « Bastón o palo que lleva pendiente a lo largo un paño o capa, comúnmente encarnada, de que se sirve el torero para engañar al toro y hacerle bajar la cabeza cuando va a matarlo » si lʼon suit la définition de la 22 ème édition du Diccionario de la Real Academia Española 7 Jean-Claude Michéa, Les intellectuels, le peuple et le ballon rond, Castelnau-le-Lez: Climats, 1998, p. 20. 8 Philippe Belaval, « La Tauromachie est-elle malade de la Feria ? ». Dossier publié dans le no 89 de Paris Aficion, en ligne sur www.terrestaurines.com

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